Camille Fallet

Notes sur l'asphalte, une amérique mobile et précaire, 1950-1990, Hazan - Pavillon Populaire, livre 27x24, 144 pages, 2017.
Collaboration J.Ballesta.

Vers une autre photographie documentaire

Quelques échanges autour de Notes sur l'asphalte Jordi Ballesta et Camille Fallet Propos recueillis par Sylvain Maestraggi


Sylvain Maestraggi : À l'exception de J. B. Jackson, dont certains livres ont été traduits, les photographes rassemblés dans Notes sur l'asphalte ne sont pas connus en France. Pour la plupart, ce ne sont pas des artistes, mais des universitaires, des chercheurs. Pouvez-vous tout d'abord nous présenter Jackson, qui est, semble-t-il, à l'origine de cette exposition ?

Jordi Ballesta : John Brinckerhoff Jackson a joué un rôle majeur dans la fondation des études paysagères aux États-Unis. Il s'est interrogé, dès le début des années 1950, sur le paysage ordinaire et les manières de l'apprécier. Ses travaux reposent sur l'observation visuelle, mais plus encore sur des expériences de terrain régulières, développées à l'échelle du pays et au sein de son environnement quotidien. Il conservera cette façon de porter attention aux paysages jusqu'à ces dernières années de recherche, en utilisant la photographie, mais aussi le dessin à des fins de représentation, ou plus exactement de notation. C'est là un des enjeux de l'exposition.

Car Jackson ne fut pas à proprement parler un photographe. Son œuvre est principalement écrite et éditoriale. En 1951, il a créé le magazine Landscape, dont il fut l'éditeur jusqu'en 1968, puis il a publié plusieurs recueils d'essais, dont l'influence est importante, tel À la découverte du paysage vernaculaire (1984). Landscape pourrait être considéré comme une revue spécialisée, mais pour Jackson, il s'agissait d'une publication ouverte à la curiosité des amateurs s'interrogeant sur le devenir des paysages contemporains. D'ailleurs, Jackson se réclamait lui-même de cette forme de curiosité et si ses travaux photographiques sont clairement ceux d'un chercheur, ils relèvent également d'un usage non professionnel et plutôt spontané de la photographie.

SM : Parallèlement à J.B. Jackson, vous présentez les travaux de cinq autres chercheurs. Leur parcours académique et leur pratique photographique sont-ils comparables ?

JB : Le parcours personnel de Jackson fut atypique et ne peut être réduit à l'idée de carrière académique. Il a certes été reconnu comme enseignant, mais n'a donné des cours réguliers qu'une dizaine d'années. Il est globalement resté en marge des institutions universitaires. Son œuvre s'est d'ailleurs nourrie des diverses activités qu'il a exercées et qui lui ont permis d'expérimenter le paysage ordinaire américain, en tant que cow-boy, avant et après-guerre, biker, pendant plusieurs décennies, manœuvre tout en vivant de ses rentes, à la fin de sa vie.

Les cinq autres auteursont suivi qui, pour l'essentiel, fut universitaire. David Lowenthal est une figure tutélaire des études paysagères et patrimoniales. Donald Appleyard a coécrit The View from the Road – un ouvrage de référence dans lesétudes urbaines et visuelles américaines. Allan Jacobs a produit une œuvre urbanistique substantielle, notamment à San Francisco. Chester Liebs et Richard Longstreth sont des spécialistes de l'architecture commerciale américaine, et par extension, des bords de route. Ils ont tous enseigné, que ce soit à Berkeley, à l'université du Nouveau-Mexique, à Harvard, à l'université George-Washington ou de Londres.

Ce qui rassemble néanmoins ces six auteurs ne relève pas leur renommée scientifique, bien qu'elle nous ait permis d'accéder à leurs archives. Ce sont leurs pratiques photographiques qui ont motivé leur réunion dans Notes sur l'asphalte et qui, à travers cette exposition, nous permettent de postuler l'existence d'une autre photographie documentaire et paysagère américaine, faite non pas d'œuvres d'art, mais de travaux de recherche qui ont jusque-là été très peu exposés et publiés.

SM : Comment ces six chercheurs ont-ils pensé et photographié le « paysage ordinaire » ? Comment cette notion se différencie-t-elle de celle de paysage au sens large ?

JB : L'étude de l'œuvre et des archives de Jackson a fortement influencé la conception de Notes sur l'asphalte. La définition du paysage qui en ressort est de ce fait principalement jacksonienne : le paysage est entendu comme une notion géographique étroitement liée à l'idée d'habitation ; il ne relève qu'à la marge de considérations esthétiques et, en cela, il embrasse les mondes ordinaires, jusqu'aux plus routiniers ; il implique bien davantage la participation qu'un regard distancié.

Pour autant, si nos six auteurs ont porté attention aux paysages de tous les jours, leurs recherches photographiques ne sont pas identiques. Appleyard a privilégié les vues d'automobile, en montrant notamment la profusion des messages publicitaires. Durant les années 1950, Jacobs a documenté des quartiers ouvriers, en s'interrogeant sur la fragilité des constructions. Jackson et Lowenthal ont investi le monde rural et y ont questionné l'entremêlement des usages et la précarité des habitats.

Croiser ses thématiques a progressivement fait ressortir l'image d'une Amérique mobile et précaire. De cette Amérique, sont exclus les espaces non ou à peine humanisés, ce que les Américains appellent la wilderness ou ce que Jackson a tendance à nommer sceneries – un terme renvoyant au paysage comme décor. S'il n'en sont pas exclus, les espaces planifiés et appelés à durer sont le plus souvent laissés de côté. Et même si des autoroutes, des lotissements et des centres d'affairessont visibles dans l'exposition, ce sont d'abord leurs marges composites et incertaines qui ont été photographiées.

SM : Le sous-titre de l'exposition, Une Amérique mobile et précaire, fait-il référence à la notion de « paysage vernaculaire » définie par J.B. Jackson ?

JB : Mobile et précaire renvoient à l'idée de vernaculaire, telle que Jackson l'entend. Chez lui, le vernaculaire part du domestique, puis tend à déborder provisoirement dans les espaces communs, voire publics. Par exemple, le fait de ne pas avoir assez d'espace chez soi pour garer sa voiture, de stationner sur la voie publique, d'y déposer du matériel pour procéder à des réparations relève du vernaculaire. Le fait de s'approprier momentanément un parking pour en faire un terrain de jeu également. Le vernaculaire selon Jackson est intimement lié aux prolétariat américain : ceux qui, en l'absence de propriété foncière, tendent à rester mobiles et sont dans la nécessité de mobiliser des ressources dont ils n'ont pas la possession, mais dont ils peuvent partager l'usage. De la même manière, le vernaculaire s'oppose au politique : il ne procède pas de normes et de règlements approuvés par la communauté, mais de pratiques adaptées aux circonstances, issues d'arrangements de voisinage. Chez Jackson, il existe aussi une forte proximité entre culture vernaculaire et pratique amateur, l'une et l'autre ne relevant pas de savoirs institutionnalisés.

Cette définition du vernaculaire, qui s'accorde avec celle des autres auteurs, a guidé nos choix d'images.

SM : Effectivement, alors qu'on pourrait s'attendre à ce que les paysages photographiés par ces chercheurs soient très standardisés, ils présentent énormément de variations et de singularités…

Camille Fallet : Le paysage américain est saturé de représentations. Mais ces chercheurs s'intéressent à des aspects que l'on connaît moins, et que nous avons choisis de montrer dans l'exposition, comme, par exemple le soin apporté à l'ornement, dans un environnement parfois modeste ou occupé de manière temporaire : la manière dont est construite une barrière, dont sont peintes une grange ou une série de portes de garage… Ces éléments photographiés sont la figuration la plus subtile d'une forme d'expression vernaculaire.

SM : Dans les années 1930, le paysage vernaculaire américain, dans sa dimension culturelle, mais aussi comme produit d'une société en perpétuelle évolution, avait déjà attiré l'attention de certains photographes comme Walker Evans…

CF : Dès le milieu du XIXe siècle, les artistes et écrivains américains ont essayé de définir une culture proprement américaine, qui intègre les différents aspects de la vie quotidienne. La découverte de la photographie documentaire européenne, notamment des œuvres d'Eugène Atget et d'August Sander, au début des années 1930, a incité les photographes des États-Unis à renouveler la représentation de leur propre paysage social. Publié en 1938, American Photographs de Walker Evans peut être considéré comme le grand livre de photographie sur le paysage vernaculaire américain. On y trouve déjà de nombreux motifs liés à l'automobile, au logement, à la culture populaire. Evans intègre également la ruine au paysage américain, qu'il présente non pas comme un paysage immuable, mais comme un paysage temporaire, périssable.

SM : L'un des thèmes importants de l'exposition est la route, thème qui s'affirme en photographie avec Les Américains (1958) de Robert Frank. En revanche, il semble qu'il faille attendre le milieu des années 1970, et l'exposition New Topographics, pour que le paysage vernaculaire s'impose véritablement parmi les photographes. Comment situer l'œuvre de ces chercheurs par rapport à la lecture habituelle de l'histoire de la photographie ?

JB : La plus grande partie des archives que nous avons consultées s'étend du milieu des années 1960 au début des années 1980. Pour autant, Jackson et Jacobs ont photographié à des fins de recherche dès les années 1950. Les images de Lowenthal proviennent de parcours réalisés entre 1965 et 1968. Il avait alors reçu une bourse Guggenheim, dans le but de faire une étude photographique du paysage vernaculaire américain. Enfin, Longstreth et Liebs, qui sont plus jeunes, ont effectué la plupart des photographies les plus récentes.

Cette chronologie permet de réinterroger quelque peu l'histoire de la photographie documentaire et paysagère américaine. Entre les travaux sur le vernaculaire qu'ont mené Walker Evans et certains des photographes de la FSA et ceux sur les paysages ordinaires des New Topographics, il existerait de vastes recherches dont les qualités documentaires et visuelles n'auraient pas été prises en compte. Citées ça et là dans l'histoire de la photographie, seules les archives de Denise Scott Brown, Robert Venturi et Steven Izenour produites en vue de Learning from Las Vegas font véritablement exception. Par ailleurs, cinq des six chercheurs de Notes sur l'asphalte ont photographié en couleur à une époque où le noir et blanc était encore dominant dans la photographie documentaire. Sans appartenir à une avant-garde artistique, Jackson, dès les années 1950, Lowenthal, durant les années 1960, Liebs et Longstreth, un peu plus tard, ont fait de la route et de son expérience une des matières de leur œuvre documentaire.

SM : Comment ses auteurs ont-ils structuré leurs archives photographiques ?

JB : Parmi les six auteurs exposés, seul Lowenthal a conservé l'ordre chronologique de ses prises de vue en noir et blanc. Mettre en place un autre classement impliquait qu'il découpe un à un ses négatifs ou qu'il conserve des tirages. Pour les autres auteurs, l'usage de la diapositive -montée sous cache individuel- a facilité la mise en place de logiques de classification thématiques, typologiques et géographiques.

Les diapositives de Jackson sont classées selon une grande variété de sujets recouvrant peu ou prou toutes les formes de construction et d'habitation : du monument à l'artère commerciale, de la station-service à la grange. Celles de Longstreth sont classées tantôt par localités, tantôt par architectes et le plus souvent par types architecturaux ; du stand de bord de route aux aéroports primitifs. Celles d'Appleyard sont rangées selon des catégories mêlant localité et expérience de terrain.

Ces modes de classement gardent toutefois une certaine souplesse. Outre la localisation, plusieurs thématiques peuvent être annotées sur les montures et une diapositive est susceptible de circuler d'une catégorie à une autre. La multiplicité des annotations confirme que, pour ces auteurs, la diapositive n'était pas uniquement un support photographique.

SM : Qu'est-ce qui détermine le choix de la diapositive chez ces photographes ?

JB : La diapositive était manifestement le support qui répondait le mieux à leurs attentes documentaires. Parce qu'elle est susceptible d'accueillir des annotations écrites, je pense qu'elle facilite le passage de l'image au texte. Elle peut aisément être classée, déplacée, associée, mise de côté et réintégrée et peut ainsi accompagner au plus près le développement d'une pensée typologique, l'établissement d'une problématique et la mise en place d'un cheminement narratif. De même, chacun des auteurs projetait ses propres diapositives lors de ses cours et conférences. Enfin, comme je l'ai déjà dit, la diapositive leur permettait de représenter leurs objets d'étude en couleur. La qualité esthétique du noir et blanc n'avait que peu d'intérêt pour ces documents de recherche et seul Lowenthal s'est placé dans une tradition photographique qui conduisait à se détourner de la couleur, quand bien même il existait des films couleur précis dans leur rendu et facilement utilisables.

SM : Le titre de l'exposition est Notes sur l'asphalte. Comment cette notion de « note » permet-elle de définir leurs pratiques photographiques ?

JB : Au-delà des paysages auxquels ils se sont intéressés, les six auteurs de Notes sur l'asphalte ont en commun de ne pas avoir cherché à produire des œuvres photographiques, mais d'avoir utilisé la photographie comme leur mode de notation principal, voire exclusif. Dans les archives de Jackson n'est présent qu'un seul carnet de terrain écrit, documentant un voyage réalisé en 1957, alors que 5000 diapositives, développées entre 1956 et 1989, y sont conservées. Longstreth nous a ouvert son fonds, composé de plusieurs dizaines de milliers de diapositives, sans nous présenter aucun carnet de note. Et Lowenthal n'a légendé ses images qu'à l'occasion de l'exposition. Pour tous ces auteurs, documenter les paysages et leurs expériences passait par une série de notes photographiques.

Pour autant, Longstreth, Liebs, Lowenthal et Jacobs n'ont pas qualifié eux-mêmes leurs prises de vue comme des notes de terrain. Plus largement, ils ne semblaient pas avoir procédé à un retour réflexif leur permettant, non pas de décrire leur usage de la photographie, mais de théorisé leur pratique photographique comme une écriture à part entière. Soit ils ne se reconnaissaient pas en tant que photographes, soit ils se considéraient comme photographes amateurs. Même Liebs qui a publié de nombreuses photographies dans son livre Main Street to Miracle Mile fut très surpris que l'on puisse s'intéresser à ses images et qu'on veuille les exposer. Lowenthal, n'avait pas conservé ses films comme des œuvres à protéger. Il les avait stockés dans sa cave comme l'auraient été des carnets devenus inutiles.

Enfin, le fait que ces photographies soient considérées comme de simples documents de recherche a facilité les échanges entre chercheurs et une prise de distance avec la notion d'auteur. Ainsi plusieurs photographies de Longstreth ont été retrouvées dans les archives de Jackson. De même, Liebs n'est absolument pas certain d'être l'auteur d'une des photographies présentées : celle de la station service Hat 'n' Boots.

SM : Comment avez-vous conçu l'exposition de ces images, qui n'ont pas été produites pour être exposées, mais pour servir de documents de recherche ?

CF : Pour concevoir l'exposition, nous sommes partis de l'observation des fonds photographiques et par exemple, nous avons composé des grilles d'images, qui renvoient à l'organisation des archives par thème, à la manière d'une collection. On retrouve certaines de ces thématiques dans l'exposition : main streets, mobile homes, silos, stations service. Nous présentons également des agrandissements de certaines diapositives avec leur cache, pour montrer la manière dont ceux-ci étaient annotés par différents utilisateurs, au gré d'échanges entre chercheurs. Mais, au-delà des classifications, nous avons construit un long voyage à partir des images qui est une référence à la pratique de terrain de ces photographes. Notre expérience de la route américaine et des paysages traversés durant l'élaboration du projet nous a permis de penser ces photographies dans leurs contextes. Ce montage, entremêlant les images des uns et des autres, à pour but de mettre en valeur une attitude qui nous semble commune à ces chercheurs.

SM : Comment définiriez-vous cette attitude ?

CF : Nous avons surtout essayé de restituer l'acuité de leurs regards. Selon moi, ce qui caractérise ces auteurs, c'est la précision avec laquelle ils regardent ce qu'ils photographient. Si les modes de prise de vue ne respectent pas toujours les codes esthétiques et méthodologiques de la photographie documentaire, le choix des objets photographiés s'avère extrêmement précis. Paradoxalement, ce manque d'artefacts confère à leurs photographies une instantanéité descriptive, une force documentaire singulière. Ils nous rappellent en quoi la photographie reste un moyen d'enregistrement à la fois très simple et très puissant dont tout un chacun peut s'emparer. Ainsi, je pense que ces images ne doivent pas uniquement être considérées comme des documents culturels, qui renverraient à une période de l'histoire américaine, mais qu'elles devraient être perçues comme des « documents d'expérience ». Ces documents n'existent que parce que leurs auteurs sont allés à la rencontre de la route, et la photographie nous permet de partager leurs expériences.

SM : Quelles sont les relations entre l'usage de la photographie chez ces chercheurs, et celle d'artistes ayant produit une critique du paysage ordinaire, sous forme d'essais ou d'articles, comme Dan Graham (Homes for America, 1966) ou Robert Smithson (A Tour of the Monuments of Passaic, 1967) ?

CF : Dans l'exposition, il nous a semblé intéressant de rapprocher les notes photographiques de ces chercheurs, non seulement d'œuvres de photographes, mais également de travaux d'artistes intégrant la photographie, notamment sous forme de publications. En dehors des projections dans le cadre de leur enseignement, ces chercheurs ont principalement diffusé leurs photographies dans des publications scientifiques. Si les affinités de leurs images avec l'œuvre de Walker Evans, William Christenberry ou Stephen Shore paraissent évidentes, il existe également des relations formelles et conceptuelles entre des publications telles que Visual Blight in America à laquelle Lowenthal a fortement participé ou The View from the Road d'Appleyard et les articles que vous citez, auxquels nous pourrions ajouter le Landscape Manual de Jeff Wall. À la fin des années 1960, certains artistes nord américains ont fait en quelque sorte le chemin inverse des auteurs de Notes sur l'asphalte. Robert Smithson et Dan Graham, dont la pratique vient du champ des arts visuels, sont allés vers l'écrit pour produire des formes qui mettent en relation le texte et l'image, cela dans le cadre d'une réflexion sur l'environnement urbain. La photographie n'est pour eux qu'un moyen direct pour produire des documents qui accompagnent le texte. Pas besoin d'un grand savoir-faire, seule compte la possibilité de prélever un fragment de réel… Dans ce sens, Smithson ou Graham cassent les codes de représentation en utilisant des petits appareils amateurs, qui leur permettent d'être plus proches du sujet. En cela, ils se rapprochent de nos six chercheurs. Les uns comme les autres ont produit des études sur le paysage américain, qui sont aujourd'hui considérées soit comme des recherches scientifiques, soit comme des œuvres d'art. Alors que Jackson et Graham, par exemple, ont une manière assez comparable d'envisager la prise de vue, que nous pourrions également rapprocher de l'utilisation faite par Evans du recadrage : en fragmentant, ils ne prélèvent que ce qui leur est utile.


Jordi Ballesta est chercheur, membre du Centre Interdisciplinaire d'Études et de Recherches sur l'Expression Contemporaine (CIEREC). Il est également associé à l'UMR Géographies-cités. Ses recherches sont centrées, d'une part, sur les articulations entre photographie documentaire et savoirs géographiques, d'autre part, sur les paysages vernaculaires. Ses travaux les plus récents ont pour objets l'œuvre théorique et les travaux photographiques de J. B. Jackson, dont il a édité l'essai photo-géographique Habiter l'Ouest (2016), à propos duquel il a co-dirigé le n° 30 de la revue Les Carnets du paysage et notamment publié l'article « J. B. Jackson au sein des paysages ordinaires ».

Sylvain Maestraggi est auteur, photographe et éditeur indépendant. Il a consacré ses études de philosophie à l'œuvre de Walter Benjamin. En 2009, il réalise Histoires nées de la solitude, film inspiré des textes de Walter Benjamin sur Marseille. En 2013, il fonde L'Astrée rugueuse, structure d'édition au sein de laquelle il a publié deux livres de photographies : Marseille, fragments d'une ville (2013) et Waldersbach (2014).

Towards another documentary photography

Discussion about "Notes on Asphalt"
Jordi Ballesta and Camille Fallet
Interview by Sylvain Maestraggi


Sylvain Maestraggi (SM): Except for John Brinckerhoff Jackson — some of his books have been translated into French — the photographers who were selected for the exhibition "Notes on Asphalt" are unknown in France. Most of them are not artists, but scholars, researchers. Could you first introduce us to Jackson, who seems to be at the origin of this exhibition?

Jordi Ballesta (JB): J. B. Jackson played a major role in the foundation of landscape studies in the United States. From the early 1950s, he wondered about ordinary landscape and how it could be appreciated. His work relies on observation, and even more on frequent field experiences, that he expanded to meet the scale of his country, in the midst of his everyday surroundings. He kept this keen interest in landscapes up until his last years of research, using photography but also drawing as means to represent or rather to annotate.

Jackson was not a photographer per se. Most of his work was writing or editing. In 1951, he created the magazine Landscape, that he directed until 1968. He then went on to publish collections of essays that had a significant impact, such as Discovering the Vernacular Landscape (1984). Landscape could be considered as a specialised journal, but for Jackson, it was more of a magazine that welcomed the curiosity of amateurs wondering about the future of contemporary landscapes. Indeed, Jackson felt he had that same kind of curiosity, and if his photographic work is clearly the work of a researcher, it is also part of a non-professional and rather spontaneous use of photography.

SM: Along with J. B. Jackson's, you also present the work of five other researchers: Donald Appleyard, Allan Jacobs, Chester Liebs, Richard Longstreth and David Lowenthal. Are their academic backgrounds and practice of photography comparable to that of J. B. Jackson?

JB: Jackson's personal history was unusual and it cannot be limited to the idea of an academic career. He was indeed regarded as a professor, but he only gave frequent lectures for ten or so years. He mostly stayed at the fringe of the academic world. And his work was fed by the various jobs he worked over the years, which gave him the opportunity to experience the ordinary American landscape, as a cowboy, before and after the war, as a biker for a couple of decades, as a worker while living off of his annuities near the end of his life.

The five other photographers have followed a professional path that was at least partly if not mostly developed in the academic world. David Lowenthal is a leading figure in heritage and landscape studies. Donald Appleyard co-wrote The View from the Road (1964) a book of note in American visual and urban studies. Allan Jacobs produced a substantial urban work, especially in San Francisco. Chester Liebs and Richard Longstreth are both specialists of American commercial architecture and as such, of American roadsides. They have all been teachers or professors, be it in Berkeley, New Mexico University, Harvard, George Washington University or London.

The scholarly fame of these authors obviously gave us access to and knowledge about their archives, but it was not the primary condition for their inclusion. It is their photographic practices that led to that reunion in "Notes on Asphalt" and which enable us to assert that another documentary photography exists, one that is not characterised by works of arts but by works of research, which have rarely been put under the spotlight in exhibitions, or published.

SM: How did these six researchers think about and photograph the "ordinary landscape"? How is this notion different from that of the general landscape?

JB: The study of Jackson's work and archives has strongly influenced the conception of this exhibition. The definition of landscape that can be drawn from it is therefore mostly Jackson's: landscape is understood as a geographical notion fundamentally linked to the notion of habitation; aesthetic considerations are only marginally relevant and, as such, it embraces the realm of everyday life, even at its most ordinary; it invites participation, rather than a distant view.

However, even if the six photographers have all focused on daily landscapes, their photographic studies are not identical. Appleyard favoured shots taken from a car, showing especially the profusion of advertising. During the 1950s, Jacobs documented working class neighbourhoods, pondering on the frailty of buildings. Jackson and Lowenthal headed for rural areas where they considered the intricacy of conventions in these places and the precarious situations of their inhabitants.

Blending these thematics has progressively projected the silhouette of a mobile and precarious America. Spaces that are not, or barely, inhabited are left out of this America, what Americans call the wilderness or what Jackson usually refers to as sceneries – turning landscapes into sets. Although they are represented, planned spaces that are built to last are mostly ignored. And even if highways, housing developments, and business centres can be seen in this exhibition, it is mostly their uncertain and frayed margins that have been photographed.

SM: Is the subtitle of the exhibition "A Mobile and Precarious America" a reference to J. B. Jackson's notion of "vernacular landscape"?

JB: "Mobile" and "precarious" echoes Jackson's definition of vernacular. For him, vernacular comes from the domestic, and tends to temporarily overflow over common or even public spaces. For example, if lacking space at home, you park your car on a public road, and set your tools there to repair the car, that would be vernacular. Taking ownership of a car park temporarily to turn it into a playground as well. The vernacular according to Jackson is deeply connected to the American working-class: people who do not own land and tend to remain mobile, who have to use resources that they do not own, but which can be pooled. In the same way, vernacular is opposed to politics: it is not the result of universally approved standards and regulations, but rather the result of common conventions, the result of neighbourly compromises. There is, in Jackson, a strong proximity between vernacular culture and amateur practice, as both result from knowledge that has not been appropriated by institutional knowledge. This definition of vernacular, in line with the authors', has guided our selection of photographs.

SM: Indeed, while we could expect these researchers to photograph really standard landscapes, they present countless variations and peculiarities...

Camille Fallet (CF): American landscape is saturated with representations. But these researchers are interested in aspects that are not as known, and we chose to put forward in this exhibition, for example, how ornately decorated some modest or temporarily occupied environments are: the way a fence is built, the way shed or garage doors are painted... These captured elements represent with the utmost subtlety a vernacular form of expression.

SM: In the 1930s, the American vernacular landscape, in its cultural dimension, but also as a product of an ever changing society, had already attracted the attention of some photographers, such as Walker Evans, etc.

CF: From the middle of the 19th century, American artists and writers had tried to define a culture that was purely American, including different aspects from everyday life. Discovering European documentary photography in the early 1930s, particularly works by Eugène Atget and August Sander, prompted photographers in the United States to renew how they represented their own social landscape. Published in 1938, American Photographs by Walker Evans can be regarded as the great book of photography on the American vernacular landscape. It already presented many motifs pertaining to automobiles, housing and popular culture. Evans also included ruins in the American landscape, which he presented not as an immutable landscape, but as a temporary, perishable landscape.

SM: One of the main themes of the exhibition is the road, a theme that asserted itself in photography with Robert Frank's The Americans (1958). However, it seems that the vernacular landscape took until the mid-1970s – and the exhibition "New Topographics" (1975) – to attain recognition among photographers. How to situate the work of these researchers in relation to the usual reading of the history of photography?

JB: Most of the archives we consulted range from the mid-1960s to the early 1980s. Nonetheless, Jackson and Jacobs had started using photography for research purposes from the 1950s. Lowenthal's images were taken on journeys made between 1965 and 1968. He had been awarded a Guggenheim Fellowship to conduct a photographic study of the American vernacular landscape. Longstreth and Liebs, as to them, are younger, and they captured the majority of the most recent photographs.

This chronology makes it possible to re-examine the history of American documentary and landscape photography. Between Walker Evans' work on the vernacular, or that of some of the Farm Security Administration photographers, and the "New Topographics", on ordinary landscapes, vast troves of research seems to exist whose documentary and visual qualities would not have been taken into account. Only the archives of Denise Scott Brown, Robert Venturi and Steven Izenour, created for Learning from Las Vegas (1972), mentioned from time to time throughout the history of photography, are really an exception. Furthermore, five of the six researchers in "Notes on Asphalt" photographed in colour at a time when black and white photography was still dominant in documentary photography. Although they did not belong to any artistic avant-garde, Jackson, in the 1950s, Lowenthal, in the 1960s, and, a little later, Liebs and Longstreth, elected the road and its experience as one of the subjects of their documentary work.

SM: How did these authors structure their photographic archives?

JB: Among the six authors represented, only Lowenthal kept the chronological order of his black and white photographs. Sorting them otherwise would have involved cutting out the negatives one by one or saving prints. For the other photographers, the use of slides – in individual frames – allowed the implementation of thematic, typological and geographical classification.

Jackson's slides are grouped according to a wide variety of subjects covering more or less all types of buildings and housings: from the monument to the commercial boulevard, from the gas station to the barn. Longstreth's are sometimes classified by localities, sometimes by architects or most often by architectural types, from the roadside stand to the primitive airports. Appleyard classified by categories that mix locality and field experience.

However, these sorting methods are flexible. Besides the location, several themes can be annotated on the frame and a slide is likely to move from one category to another. The many annotations indicate that, for the authors, the slide was not just a photographic medium.

SM: What made these photographers chose slides?

JB: The slide was obviously the medium that best fulfilled their documentary requirements. Because it can receive written annotations, I think it enabled the transition from image to text. It can easily be sorted, moved, arranged, removed and brought back, and so it is able to closely follow a developing typological thought, the phrasing of a question and the setting up of a narrative path. Also, each of the photographers projected their own slides during classes and lectures. Finally, as I said, the slide enabled them to represent the objects in colour. The aesthetic quality of black and white was of little interest in these research documents and only Lowenthal subscribed to a photographic tradition that shunned colour, despite easy to use colour films with precise rendering.

SM: The title of the exhibition is "Notes on Asphalt". How does this notion of "note" help define their photographic practices?

JB: Beyond the landscapes on which they focused, the six photographers in "Notes on Asphalt" also have in common that they have not sought to produce photographic works, but have used photography as their principal if not only mode of taking notes. Jackson's archives contain only one field log, written during a 1957 trip, while five thousand slides are kept there, developed between 1956 and 1989. Longstreth opened his archives to us, consisting of several tens of thousands of slides, without showing us any notebooks. And Lowenthal only added captions to his photographs for the sake of this exhibition. For all these photographers, documenting landscapes and their experiences was done through many series of photographic notes.

However, Longstreth, Liebs, Lowenthal and Jacobs did not refer to their photographs as field notes. In general, they did not seem to have operated any reflexive hindsight that could have enabled them, not only to describe their use of photography, but to theorize their photographic practice as "writing" in its own right. Either they did not identify themselves as photographers, or they considered themselves amateur photographers. Even Liebs, who published many photographs in his book Main Street to Miracle Mile (1985), was very surprised that people could be interested in his photographs and wanted to show them. Lowenthal had not preserved his negatives as works that required protection. He had stored them in his cellar as he would have notebooks that he had no use for anymore.

Finally, the fact that these photographs had been considered as simple research documents facilitated exchanges between researchers and created a distance from the notion of author. Thus several of Longstreth's photographs were found in Jackson's archives. Similarly, Liebs is not sure at all that he is the author of one of the photographs displayed: the one showing the Hat 'n' Boots gas station.

SM: How did you design the exhibition of these images, which were not produced to be exhibited, but meant to be used as research documents?

CF: In order to design the exhibition, we started by observing the photographic archives and, for example, we composed grids of images based on their thematic organisation, like a collection. Some of these themes can be found in the exhibition: main streets, mobile homes, silos, gas stations. We also display enlargements of some slides with their frames, to show how they were annotated by different users, as they were exchanged between researchers. But, beyond the classifications, we have conceived a long journey starting from the photographs, that is a reference to the practice of these photographers. Our experience of American roads and the landscapes through which the project was developed enabled us to think of these photographs within their contexts. This montage, interweaving their images, aims to highlight an attitude we perceive to be common in these researchers.

SM: How would you describe this attitude?

CF: We especially tried to display how discerning their gazes were. In my opinion, what characterizes these authors is the precision with which they looked at what they were photographing. If the ways they use photography do not always respect the aesthetic and methodological codes of documentary photography, the choice of the photographed objects is extremely precise. Paradoxically, this lack of artifice gives their photographs a descriptive instantaneity, a singular documentary force. They remind us how photography remains a very simple and powerful means of recording that everyone can seize. So I think these images should not only be seen as cultural documents, which would refer to a period in American history, but should also be seen as "experience documents". These documents exist only because their authors have gone and experienced the road, and photography allows us to share their experiences.

SM: What is the link between the way these researchers use photography and that of artists who have produced essays or articles critical of the ordinary landscape, such as Dan Graham ("Homes for America", 1966) or Robert Smithson ("A Tour of the Monuments of Passaic", 1967)?

CF: It seemed fitting in the exhibition to compare the photographic notes of these researchers, not only with the work of photographers, but also with works by artists using photography, especially in the form of publications. Apart from the slide shows during their lectures, these researchers mainly displayed their photographs through scientific journals. If the affinities of their images with the works of Walker Evans, William Christenberry or Stephen Shore seem obvious, there is also a formal and conceptual relationship between publications such as Visual Blight in America (1973), in which Lowenthal has greatly participated, or The View from the Road by Appleyard and the articles you mentioned, to which Jeff Wall's Landscape Manual (1969) could be added. In the late 1960s, some North American artists went – so to speak – in the opposite direction of the authors of "Notes on Asphalt". Robert Smithson and Dan Graham, whose practice originated in the field of visual arts, have taken to writing to produce forms connecting text and image, as part of a reflection on the urban environment. For them, photography is only a direct means of generating documents that go with the text. No need for much know-how, only the possibility of capturing a fragment of reality matters ... In this sense, Smithson or Graham break the codes of representation, using small amateur cameras, which allow them to be closer to the subject. In this way they are close to our six researchers. All of them are authors of studies on the American landscape that are now regarded either as scientific research or as works of art. It is interesting to note that Jackson and Graham have a fairly comparable way of seeing the framing of their photographs, which we could also compare to Evans' use of reframing: by fragmenting, they take only what is useful to them.


Jordi Ballesta is a researcher and a member of the CIEREC (Interdisciplinary Centre of Studies and Research on Contemporary Expression). He also works with the UMR Géographies-cités research group. His work focuses on vernacular landscapes and on how documentary photography and geographical knowledge are connected. His most recent subject of study has been the theories and photographs of J. B. Jackson, whose photo-geographic essay Ballesta recently published in France under the title Habiter l'Ouest (Living in the West, 2016). He also co-directed the publication of the 30th issue of the magazine Les Carnets du paysage that was dedicated to Jackson, especially the article "J. B. Jackson au sein des paysages ordinaires" (J. B. Jackson Through Ordinary Landscapes).

Sylvain Maestraggi is an independent editor, writer and photographer. He studied philosophy, especially the work of Walter Benjamin. In 2009, he directed the film Histoires nées de la solitude (Stories Born of Loneliness), inspired by the texts of Walter Benjamin on Marseille. In 2013, he founded L'Astrée rugueuse, a publishing platform, through which he released two books of photographs : Marseille, fragments d'une ville (Marseille, Fragments of a City, 2013) and Waldersbach (2014).

69 001.jpg *Notes sur l'asphalte, une amérique mobile et précaire*, 1950-1990, Hazan - Pavillon Populaire, livre 27x24, 144 pages, 2017. Collaboration J.Ballesta.